©AfreePress-(Lomé, le 30 mai 2020)- Le Togo a connu son premier cas de Coronavirus le 6 mars 2020. Deux mois après, les chiffres ont considérablement augmenté et le pays décompte à ce jour, plus de 400 cas confirmés de la maladie. Dans cette interview accordée à l’Agence de presse AfreePress, Dr Gilbert Tsolényanu, porte-parole du Syndicat national des praticiens hospitaliers du Togo (SYNPHOT) revient sur l’engagement et les conditions de travail du personnel médical dans la lutte contre cette pandémie.
Voici l’intégralité de l’interview.
AfreePress : Bonjour Dr Gilbert Tsolényanu. Le monde entier, y compris notre pays le Togo, est confronté depuis plus de deux mois à une crise sanitaire qui sollicite beaucoup le personnel hospitalier. Dans quel état d’esprit vos membres travaillent-ils actuellement ?
Dr Tsolényanu : Merci. Il faut dire que l’état d’esprit, c’est d’abord un engagement au travail bien fait. C’est la première chose. C’est également qu’ils mesurent l’ampleur de leur responsabilité face à cette situation et ils mesurent également, l’attente que la population togolaise entière, a en eux en tant que personnel soignant et en tant que premières personnes au front dans cette lutte.
Donc ils essaient au mieux de leur force humaine de donner le meilleur d’eux-mêmes. Je peux donc dire que c’est dans un esprit combatif, professionnel en sachant pleinement ce pour quoi ils sont là, et dans l’exercice de leur fonction, et dans le respect du serment que nous avons tous prêté, qu’ils travaillent. C’est cet esprit-là qui anime le personnel soignant même s’il a conscience des manques énormes que nous avons dans le système de santé.
Des caractères assez obsolètes que nous avons dénoncés il y a de cela plus de 15 ans. Nous avons tous appelé à ce que nous puissions aller à une modernisation du système de santé pour que puissions supporter les chocs à la fois endogènes et exogènes qui pourraient survenir.
Malheureusement, les gens n’ont pas compris la démarche et nous ont taxé d’opposants. Et malheureusement pour eux, aujourd’hui les faits nous donnent raison. Si on avait pu écouter ce que nous disions et qu’on s’y était pris plutôt, on n’en serait pas là aujourd’hui à remarquer que ce personnel est en nombre insuffisant, d’autant plus qu’actuellement la maladie a touché quiasiment toutes les préfectures et tous les districts sanitaires. Parce que sur les 44 districts sanitaires que le Togo compte, 38 sont déjà touchés. Ce qui voudrait dire qu’il faut prendre en charge les cas sur place. On ne peut plus dire qu’il faut envoyer les cas à Lomé. Ça veut dire que le travail revient aux agents qui sont sur le terrain. Donc nous sommes conscients des carences de notre système de santé, mais nous sommes engagés à faire face à cette pandémie dans le souci de sauver des vies.
AfreePress : Au début de la pandémie, le SYNPHOT avait déploré le manque de matériels de protection pour les praticiens hospitaliers. La situation s’est-elle améliorée aujourd’hui ?
Dr Tsolényanu : La situation s’est améliorée. Les autorités ont fait des efforts en ce sens puisqu’actuellement, elles disent qu’il y a deux masques par jour et par personnel. C’est vrai que des dons ont été faits et nous avons aussi appuyé grâce à nos partenaires, cette action pour que les masques soient disponibles.
Cependant, il y a quand même quelques éléments qui manquent. Les visières de protection par exemple, nous ne les avons pas assez, les masques FFP2 et N95 qui sont très utiles aussi, pour certains corps de métier et surtout pour les cas suspects et les cas positifs, manquent cruellement.
Mais les masques chirurgicaux, il y en a. Nous continuions par mobiliser nos partenaires pour venir en appui à ce que le gouvernement fait déjà pour que les soignants ne soient pas en manque de matériels de protection. C’est important. Parce que si les soignants sont contaminés, ça voudrait dire que c’est la catastrophe qui est là. Donc c’est important de protéger les soignants pour préserver la population de la flambée des contaminations.
AfreePress : Certains de vos membres ont été infectés par le Covid-19. Comment se portent-ils?
Dr Tsolényanu : Parmi les praticiens hospitaliers qui sont déclarés positifs, il y en a qui sont guéris et il y en a qui sont toujours en train de suivre les traitements. Mais nous essayons quand même de faire un suivi psychologique particulier à leur endroit, aussi bien pour ceux qui sont déjà déclarés et ceux qui sont mis en quarantaine et qui sont une centaine. Donc nous essayons d’apporter une assistance sociale psychologique par l’initiative de la Cellule d’écoute psychologique que le SYNPHOT a mise en place pour le personnel soignant infecté, mais également pour la population globalement, par une écoute quotidienne.
C’est pour vous dire que nous avons mis en place un fonctionnement qui nous permet de pouvoir être présents à tous les niveaux d’intervention de cette maladie. Nous sommes aussi bien sur le terrain de la mobilisation de moyens pour protéger nos agents, mais au même moment nous organisons une assistance psychologique en faveur de la population.
AfreePress : Le taux de contamination ne cesse de s’accroître dans le pays. Quelle lecture en faire? Est-ce dans l’ordre normal des choses ?
Dr Tsolényanu : Il faut dire que c’est dans l’ordre normal des choses, mais on doit pouvoir briser cet ordre normal. Dans une pandémie, il est normal qu’on puisse avoir une courbe ascendante. Vous atteignez un pic avant de commencer par avoir une courbe descendre.
C’est totalement normal. Mais il faut éviter d’avoir un pic élevé, c’est l’objectif. Donc il faut briser le plus tôt possible la courbe de la contamination pour que nous puissions avoir un pic à un niveau très bas. C’est-à-dire qu’il faut faire en sorte qu’il n’y ait pas assez de cas positifs. C’est pour cela qu’il faut briser la chaîne de contamination. Et c’est en cela qu’il est important que les mesures-barrières soient observées de manière scrupuleuse. On ne peut pas transiger avec ça. On ne peut pas être complaisants. On doit être dans la rigueur.
Donc pour nous, on peut briser la courbe ascendante actuellement. Des mesures fortes ont été prises. Donc il s’agit pour les autorités ministérielles, de les traduire dans les faits pour pouvoir éviter qu’on ait des cas de contamination trop élevés. Il est donc important que les autorités trouvent des moyens complémentaires pour que l’ascension qu’on est en train d’observer, soit maîtrisée. Globalement les mesures se prennent. Plus on fera des tests, plus il est possible que les cas augmentent.
Mais au même moment, il faut gérer tous les cas qui gravitent autour de ces cas positifs en prenant des mesures rigoureuses. Malheureusement nous sommes déjà à un niveau communautaire, ce qui est déplorable parce qu’on ne devrait pas en arriver là, mais c’est quand même une situation normale puisque c’est une maladie des voies respiratoires. Maintenant le challenge c’est vraiment de réduire la courbe et de minimiser les cas de contagion et de veiller à ce que les mesures-barrières soient respectées par tous.
AfreePress : Vous avez appelé la population à la solidarité et à aider les soignants à disposer de matériels. Avez-vous été entendus par les Togolais ?
Dr Tsolényanu : Oui les gens nous ont soutenus. Ce qui m’a beaucoup marqué, c’est de voir les contributions par transfert monétaire T-MONEY et Flooz. Quand vous voyez les gens envoyer 100 f ou 200 f, vous comprenez que ces gens sont touchés par ce que vous faites et qu’ils veulent vraiment aider. Peut-être qu’ils n’ont pas assez de moyens, mais, on a senti quand même une mobilisation de la part des Togolais à notre appel et ça continue.
Donc c’est l’occasion pour moi de leur dire merci et de les appeler à faire davantage parce que nous sommes maintenant à une phase plus complexe qu’au début où nous avions juste une situation localisée à certaines villes et Lomé était l’épicentre. Après ça été Sokodé. Mais maintenant c’est toutes les villes du Togo qui sont quasiment touchées et le besoin est plus grand.
Donc nous appelons encore à leur mobilisation. Que les Togolais ne soient pas fatigués de nous appuyer. Aussi nous voulons également remercier certains partenaires qui ont marqué le coup. Les sociétés comme visuel communication, Evame, Vlisco et plusieurs d’autres nous ont soutenus. Il y a des partis politiques comme BATIR et le NET, la diaspora et les footballeurs comme le capitaine des Éperviers du Togo, Djéné Dakonam et Fodo Laba. Tous ont contribué et l’élan est là et nous en appelons encore à plus de solidarité pour porter assistance aux soignants afin de vaincre la pandémie.
AfreePress : Dans ces temps de travail difficile et de prise de risque, le personnel soignant bénéficie-t-il de primes spéciales ?
Dr Tsolényanu : Nous avions commencé par négocier les primes d’autant plus que le Chef de l’Etat avait annoncé des mesures particulières pour le personnel soignant. Donc il y a des primes qui sont prévues. Nous n’avions pas participé au début à la fixation de ces primes, mais quelque chose se fait pour le personnel soignant dans les centres de prise en charge.
Maintenant ce qui serait bien c’est que ces primes soient étendues à tout le personnel soignant notamment, une prime spéciale pour la situation de la Covid-19, destinée à tout le personnel soigant comme administratif qui intervient au niveau de la santé.
Je m’explique. Lorsqu’on affecte des gens dans les centres de prise en charge par exemple, leur travail initial revient à ceux qui restent. Donc la charge de travail augmente. Deuxième chose, au niveau des centres de prise en charge, on sait que c’est des cas positifs à la Covid-19 qu’on traite. Du coup le niveau de protection est plus élevé. Il va sans dire qu’ils sont mieux protégés que ceux qui sont dans les hôpitaux qui eux reçoivent des cas de Covid-19 sans le savoir, puisque c’est eux malheureusement qui reçoivent des malades et à l’issue des diagnostics se retrouvent devant des cas suspects ou des cas confirmés. Ce qui signifie qu’ils sont plus exposés.
Donc il est important qu’on puisse motiver aussi ces personnes. Dans cette histoire, il n’est pas question uniquement que de motivation de ceux qui sont au niveau des centres de prise en charge. Ce serait une erreur que de penser cela. Donc nous estimons qu’il faut aller vers une motivation globale de l’ensemble des personnes qui interviennent dans le secteur de la santé.
Tout dernièrement, nous avons participé à une session de travail où il était question de proposer des motivations et de voir comment on peut procéder à des redéploiements. Nous avons été plus loin en disant redéployer oui, mais il faut recruter en urgence. Parce la maladie est devenue communautaire, il est clair que le personnel soignant va être débordé.
Donc il faut recruter plus pour pouvoir faire face aux flux que nous allons recevoir, ce qui est certain. Donc il faut se préparer à les recevoir. Donc en ce moment, nous disons qu’il faut penser à moderniser le système de santé. Il ne faut pas attendre que la Covid-19 passe avant de le faire.
C’est en même temps qu’on doit le faire surtout que nous savons comment la maladie circule dans la communauté, et comme nous savons comment faire face à la maladie au niveau de la gestion des cas, je pense qu’il faut commencer par réformer et moderniser à fond, le système de santé.
AfreePress : Avez-vous un message à l’endroit de vos membres, des populations et des autorités ?
Dr Tsolényanu : À l’endroit des autorités, je tiens à envoyer un message d’encouragement et de soutien. Parce que nous sommes tenus d’être solidaires. Donc je leur dis de persévérer et d’améliorer ce qui se fait déjà, mais également qu’on s’écoute mutuellement pour avancer.
À la population, c’est un message de discipline et d’espoir. Comme j’aime le dire, soyons responsables individuellement pour nous sauver collectivement. Aujourd’hui la vie de l’autre passe par moi. Si je suis responsable, je sauve l’autre. Mais si je suis incivique et irresponsable, je mets en péril la vie de l’autre. Donc le port de masque doit être obligatoire et devenir une habitude quand on est dehors.
Le lavage des mains doit devenir systématique. En cela les mesures barrières ne doivent pas être comme des mesures de contrainte, mais nous devons commencer par les intégrer dans nos habitudes parce que nous sommes appelés à vivre avec la maladie.
Nous devons savoir qu’il faut se remettre au travail, mais dans le respect des mesures barrières. Nous devons intégrer la maladie. Elle va rester plus longtemps et sera comme un rhume. Ce qui est encore bien c’est que dans 80% des cas, on n’en meurt pas. On en guérit naturellement. C’est seulement les 20% qui peuvent évoluer vers des complications et la mort. Ce qui veut dire qu’il y a de l’espoir et cet espoir repose sur notre sens de civisme et de responsabilité très élevé. C’est seulement au prix du respect scrupuleux des mesures-barrières qu’on peut vaincre cette maladie.
Enfin au personnel soignant, je dirais chapeau. Chapeau parce que malgré les situations difficiles que nous connaissons tous, le manque de moyens, le manque de plateaux techniques et de conditions de vie adéquate, ces dames et ces hommes se sont sacrifiés et continuent par le faire pour venir à bout de cette pandémie et sauver les populations.
Aujourd’hui il est clair que le secteur le plus important de notre monde, c’est la santé. Il a suffi juste d’un virus pour que toutes les activités économiques cessent. On ne peut construire un développement si on ne prend pas en compte la santé. Donc les autorités doivent faire en sorte que les soignants soient bien payés. Et ça doit passer par l’application des recommandations que nous avons faites au gouvernement.
Le temps a sonné que nous allions à l’application des recommandations du groupe de travail que nous avons eu au niveau du ministère de la Santé et qui va faire bientôt deux ans. On ne peut plus dire que la santé est une option. La santé est au cœur du développement. Tout système économique qui ne prend pas en compte la santé, est voué à l’échec. Donc je lance un appel aux autorités de faire en sorte qu’on puisse construire un système de santé résilient et capable de pouvoir supporter les chocs et garantir la santé des populations comme notre Constitution le prescrit en son article 34 en disant que tout citoyen a droit à la santé et que l’État a l’obligation de garantir aux citoyens, la santé.
Interview réalisée par Raphaël Aziamadji.