Dr Bêkeyi SOGOYOU : « En Afrique et au Togo en particulier, on estime que le handicap mental est causé par le surnaturel »

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©AfreePress-(Lomé, le 20 mai 2021)-Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), environ 200 millions de personnes sont en situation de handicap mental dans le monde, soit 2,6% de la population mondiale. Ces personnes présentant des difficultés fonctionnelles, ont besoin d’un accompagnement humain permanent et évolutif adapté pour développer leur personnalité. Au Togo, l’Institut Médico psycho-pédagogique (IMPP) « l’ENVOL » de Bè (Lomé), est l’un des rares centres publics qui jouent ce rôle en prenant en charge ces enfants en situation de handicap.

Dans l’interview à suivre, accordée à l’Agence de presse AfreePress, la Directrice du centre « ENVOL » de Bè, Docteur Bêkeyi Iyé SOGOYOU, Experte dans l’accompagnement des enfants en situation de handicap mental et en difficulté scolaire, également experte en Psychologie clinique et de la santé, près les cours et tribunaux de la République togolaise, revient en détail sur le phénomène du handicap mental et fait l’état des lieux de la situation dans le pays.

Lire l’intégralité de l’interview.

AfreePress : Bonjour Dr SOGOYOU Bêkeyi. C’est quoi un handicap mental ?

Dr SOGOYOU Bêkeyi : Le handicap mental, c’est une déficience intellectuelle permanente qui ne permet pas à une personne d’être totalement autonome. C’est-à-dire, la personne aura besoin de soutien et d’un accompagnement adapté pour l’aider à communiquer avec les autres et à développer sa personnalité. En bref, un enfant ou une personne en situation de handicap mental se heurte à des problèmes de conceptualisation et éprouve des difficultés à s’exprimer et à communiquer.

AfreePress : Quelles peuvent être les causes de cette déficience chez un être humain ?

Dr SOGOYOU Bêkeyi : Pour les causes, nous pouvons citer des antécédents génétiques qui sont transmis des parents à l’enfant par l’entremise du gène lors de la conception. Il y a aussi les causes périnatales pendant l’accouchement, des causes post-natales après l’accouchement et aussi la période de croissance et de développement de l’enfant. A ces causes s’ajoutent, les causes environnementales. L’enfant peut naître normal, mais la pauvreté de l’environnement dans lequel il évolue peut entraîner son handicap par une mauvaise nutrition, une mauvaise stimulation physique et sensorielle et de sa santé physique et psychologique. C’est pour dire que l’environnement pauvre peut entraîner le handicap mental. Mais ce qu’il faut savoir aussi, c’est que 30 à 40% des causes sont inconnues malgré l’avancée de la science.

En Afrique et au Togo en particulier, on estime que le handicap mental est causé par le surnaturel. Il est considéré comme héréditaire, signe d’une réincarnation et provoqué par le maraboutage, l’envoûtement, la sorcellerie ou une transgression, voire une négligence des pratiques sociales.

AfreePress : Vous qui êtes du domaine, comment ça se passe avec les couples qui ont un enfant en situation de handicap mental ?

Dr SOGOYOU Bêkeyi : Ce n’est pas du tout facile pour les couples qui ont un enfant en situation de handicap. Pour ces couples, l’expérience du handicap entraîne un véritable traumatisme. Pour certains, on voit un renforcement de la solidarité autour de l’enfant. Mais d’autres par contre, n’arrivent pas à se sentir parents de cet enfant et ils se séparent. Donc, il faut dire que la naissance d’un enfant en situation de handicap mental provoque un véritable effondrement des partenaires et la qualité des interactions familiales est compromise.

AfreePress : Le centre ‘’ENVOL » de Bè est exclusivement dédié à l’encadrement des enfants en situation de handicap mental, parlez-nous de vos activités ?

Dr SOGOYOU Bêkeyi : L’objectif premier de l’institut, c’est d’œuvrer pour l’autonomisation des enfants à travers leur épanouissement et leur intégration socio-professionnelle. Pour atteindre cet objectif, il faut un enseignement axé sur la prise en charge, la rééducation, un accompagnement psychologique et l’enseignement scolaire des matières de base. Tout ceci à travers certaines activités telles que la psychomotricité, le langage expressif et réceptif, l’art plastique, les rééducations en orthophonie et en kinésithérapie.

AfreePress : A combien peut-on estimer le nombre d’enfants en situation de handicap mental au Togo et combien sont-ils pris en charge par votre institut ?

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Dr SOGOYOU Bêkeyi : Au Togo, nous pouvons estimer le nombre des personnes en situation de handicap à 57 000, mais le nombre d’enfants vivants avec le handicap mental, est de 5 400. Parmi ces enfants, seulement 600 sont pris en charge par les centres « envol » et les structures privées.

AfreePress : Justement pour la prise en charge, avez-vous des ressources financières et humaines nécessaires… Comment vous débrouillez-vous ?

Dr SOGOYOU Bêkeyi : La prise en charge de ces enfants nécessite beaucoup de moyens. Et nous remercions le gouvernement togolais, à travers le ministère de l’Action sociale qui a mis en place une subvention pour permettre à l’institut d’accompagner ces enfants. Cependant, nous manquons de ressources humaines. Le personnel manque énormément. Il faut la volonté pour pouvoir travailler avec les enfants en situation de handicap mental. Souvent, ce sont des enfants difficiles à gérer. Et pour le ratio, un enfant en situation de handicap mental fait dix enfants « normaux ». Donc, pour cet enfant, il faut normalement deux éducateurs. Mais nous nous trouvons souvent avec 29 enfants par éducateur. Cet effectif fait que les éducateurs sont fatigués avant la fin de la journée. Donc le personnel d’encadrement manque beaucoup au niveau des centres et au niveau des structures mises en place par des bonnes volontés.

AfreePress : Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontés surtout en ces périodes de crise sanitaire ?

Dr SOGOYOU Bêkeyi : Avec la pandémie, tout a changé. Le personnel est exposé à la pandémie. Ce sont des enfants qui ne comprennent pas ce qu’on appelle mesures barrières. Donc nous les prenons en petit nombre chaque jour. Ce qui fait que nos programmes de prise en charge sont bouleversés, pour ne pas dire modifiés.
L’encadrement devient difficile parce que c’est difficile à ces enfants de porter des cache-nez, puisqu’ils ne sont pas autonomes, ils les enlèvent rapidement.
Donc l’accompagnement est difficile, surtout pour les enfants dépendants. Il faut leur donner à manger et les aider à faire leurs besoins… Et pour éviter que les enfants ne se touchent en ces périodes de Covid-19, nous avons réduit l’effectif. Nous les mettons, deux ou trois par salle avec des chaises au lieu d’un mètre, nous les disposons à trois ou quatre mètres. Mais, malgré toutes ces précautions, ils se touchent toujours.

AfreePress : Les enfants en situation de handicap mental peuvent-ils aussi réussir leur vie comme les autres s’ils sont soutenus ?

Dr SOGOYOU Bêkeyi : Nous pouvons dire oui et non. Oui, si ces enfants sont soutenus, ils peuvent vivre une vie ‘’normale’’, comme les autres enfants. Parce que beaucoup de nos enfants sont actuellement mariés. Ils sont en couple et ils ont fondé leur foyer. Ils ont des enfants et ils vivent normalement. D’autres sont en apprentissage, d’autres ont leur propre job.

Par contre certains enfants, même s’ils sont soutenus, seront toujours dépendants et assistés à vie. Si nous prenons des enfants tétraplégiques, même s’ils sont soutenus, ils demeurent dépendants. Il y a aussi les enfants trisomiques qu’il faut toujours assister même si eux, sont un peu autonomes.

AfreePress : Avez-vous un dernier mot à l’endroit de l’Etat ou des bonnes volontés ?

Dr SOGOYOU Bêkeyi : Oui. A l’endroit des autorités, nous demandons une sensibilisation des populations en vue de démystifier le handicap mental pour limiter la crise de la parentalité. Nous demandons la création des centres de prise en charge médicale et psycho-sociale des enfants en situation de handicap mental et de leurs parents affectés sur toute l’étendue du territoire. La construction des centres de formation artisanale pour des personnes en situation de handicap mental afin de soulager les parents.

Il est aussi important que les autorités accordent une attention particulière à la question de crise de la parentalité en recrutant suffisamment du personnel qualifié pour une prise en charge pluridisciplinaire des enfants et des parents. Il faut aussi des subventions au niveau des parents vu que la plupart des parents vivent dans des situations socioéconomiques précaires.
Au niveau des bonnes volontés, nous leur prions, de donner des coups de main aux structures mises en place pour l’accompagnement de ces enfants et aussi la création des écoles spécialisées pour soutenir les centres.

Propos recueillis et transcris par Raphaël A.

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